Dans le nord-est parisien, la solidarité à l’heure du petit-déjeuner

Au jardin d’Eole à Paris, plusieurs centaines d’exilés viennent à la distribution organisée chaque matin par le collectif P’tits Dej’s Solidaires. Un palliatif alimentaire au désintérêt des pouvoirs publics pour le quotidien des migrants, porté à bout de bras par des riverains inépuisables. 

La pluie tombe à grosses goutes sur le jardin d’Eole, dans le 18ème arrondissement parisien. Une grappe de personnes encapuchées commencent à se ranger en file, soufflant dans leurs mains pour les réchauffer. D’un petit local en béton, un homme surgit. Il pousse un caddie de supermarché dans lequel s’enchevêtrent les pots de confiture et les boites de café soluble.

8h30. L’heure du petit déjeuner a sonné. «  On va tartiner à l’intérieur », lance Annick, l’une des bénévoles du jour. Ici, qu’il pleuve ou qu’il neige, une dizaine de bénévoles s’organisent chaque matin pour servir un petit déjeuner aux migrants du quartier. « Ils sont entre 150 et 300 » explique Laurent, l’homme au caddie, qui tente péniblement de monter une bâche pour protéger vivres et convives. La file est maintenant plus dense. Francis fait son entrée sur l’esplanade, trimballant dans la carriole de son vélo cinq sacs remplis de baguettes de pain.

Tout commence à l’hiver 2015. Alors que la « crise » migratoire est à son paroxysme, des centaines de migrants s’entassent sous le métro aérien, entre Stalingrad et La Chapelle, faute d’avoir un toit pour dormir. « Je passais devant tous les jours et la foule grossissait », raconte Caroline, une bénévole active depuis le début du projet.

« Un jour, ça vous pète à la gueule »

« Au début je ne voyais qu’une masse, c’est bête mais je n’osais même pas aller leur parler. Et puis un jour ça vous pète à la gueule que ce sont des personnes comme nous, qui ont juste envie d’avoir une vie normale » poursuit-elle. Avec d’autres habitants du quartier de la halle Pajol, Caroline improvise des repas pour les migrants. « Peu à peu, on s’est organisé, tout un réseau de militants s’est formé et on a eu l’idée de servir des petits déjeuners ». Les « Quartiers solidaires », du nom de leur collectif, vivent alors au rythme des évacuations des migrants par la police. « A chaque fois, les migrants revenaient et on recommençait.  On était ensemble, sans cadre associatif et on essayait de faire vivre quelque chose en auto gestion. Ce sont les migrants eux-mêmes qui géraient la caisse des dons », explique la bénévole. De la halle Pajol, les petits déjeuners se déplacent au jardin d’Eole. Le lieu a, depuis longtemps, été déserté par les familles du quartier. « Ils ont mis des grillages, pendant un temps, ils contrôlaient même l’identité, c’est révoltant », se remémore la bénévole, le regard triste.

 

La fusion de deux initiatives

A quelques encablures, l’organisation « P’tits dejs à Flandres », poursuit depuis plusieurs mois une initiative similaire. Les deux collectifs décident alors de regrouper leurs forces pour former « P’tits dejs solidaires ».  Toujours sans chef, ni charte. Bien conscients que ce n’est pas la solution à tous les problèmes, ils jugent, dans le désert des politiques publiques, indispensable de continuer à servir, au quotidien, le plus grand nombre. « Evidemment notre objectif commun est motivant même s’il est modeste à l’échelle des besoins de nos invités », analyse Laurent.

9h15. Dimitri coupe une dernière baguette et file au travail. « Chacun vient quand il peut, quand il veut » explique Didier, qui se plait à désigner les bénéficiaires des petits déjeuners comme ses «  amigrants ». La mécanique, rudimentaire, est pourtant bien huilée. Les bénévoles s’inscrivent via un Google group : au service, à la collecte du pain dans les boulangeries acceptant de donner les invendus de la veille ou au remplissage des thermos, pour s’assurer d’avoir des boissons chaudes en quantités suffisantes. Régulièrement, les bénévoles sollicitent les clients des supermarchés du coin pour faire le stock de denrées alimentaires et produits d’hygiène.

9h30. Devant les tartines, les migrants s’interpellent en italien, langue qu’ils ont souvent pratiquée à leur arrivée en Europe. Soudanais, Erythréens, Ethiopiens, Ghanéens, il y a dans la foule du jour beaucoup de jeunes demandeurs d’asile qui fréquentent les « P’tits dejs » depuis des mois, dans l’attente de gagner un autre pays, ou de voir leur situation administrative se résoudre. Entre bénévoles et invités, les sourires se substituent à une communication souvent difficile.

 

« Je nous compare à une fourmilière »

Un « voltigeur » continue de trimballer bananes et sandwichs entre le local et les tables pliables. « Arrêtez la confiture, ça ne part pas », crie Annick aux tartineurs du mercredi. Tout le monde s’active dans un joyeux bazar. « Je nous compare à une fourmilière : ça part apparemment dans tous les sens, on ne sait pas très bien au départ qui fait quoi, mais chacun trouve rapidement sa place, improvise, prend des initiatives et ça marche », expose Laurent.

10h. Le stock de pain est terminé. A l’heure où une poignée de bénévoles prépare le caddie pour les volontaires du lendemain, plusieurs personnes patientent devant la camionnette de France terre d’Asile. L’ONG vient une fois par semaine au jardin d’Eole fournir une assistance juridique à ceux qui ont en besoin.

Caroline, comme chaque mercredi, est restée jusqu’au bout. Celle qui a consacré tant d’énergie et de temps à l’initiative refuse de se résigner. « Ce qui est triste, c’est qu’on a vu des gens qui étaient bien dégringoler. Ils se disaient « ça y est on est en France, le pays des droits de l’homme » et puis la nuit, ils sont réveillés par la police qui découpe leur tente ou met leur duvet à la poubelle. Cela reste insupportable la façon dont on traite les migrants en France », confie t-elle, amère.

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