Aux portes de Paris, à Saint-Denis, l’école Thot a mis au point un enseignement à destination des exilés, qui mêle cours de langue et accompagnement social, culturel et professionnel.
« Quand je vois cette œuvre, j’ai envie de sourire. Je la trouve douce », articule lentement Mohamad Moussa, devant une photo de La Joconde. Le Tchadien de 24 ans est arrivé à l’école Thot de Saint-Denis il y a cinq mois, en ignorant tout de l’alphabet latin. Aujourd’hui, il copie consciencieusement ses réponses.
« On ne s’en rend pas compte parce qu’on baigne dedans depuis toujours, mais notre façon d’enseigner et d’évaluer est hyper formatée. En plus de la langue, il y a tout un tas de codes à intégrer, explique Karine Richarme, professeure de Français Langue Etrangère (FLE). Remplir un tableau, relier des questions et des réponses par des lignes : ce sont autant de choses qui leur seront demandées à l’examen et sur lesquelles il ne faut pas qu’ils perdent de temps ». D’ici quelques semaines, Mohamad passera le DELF (Diplôme d’Etudes en Langue Française) niveau A2, passeport -nécessaire, à défaut d’être automatique- vers son intégration en France. « J’ai vraiment progressé, j’espère que bientôt je pourrai parler et écrire », ambitionne Mohamad.
A l’assaut de la langue française
Thot, du nom de la divinité égyptienne du savoir, est l’une des rares associations d’Ile-de-France à préparer les demandeurs d’asile et réfugiés aux diplômes de français, à travers des programmes intensifs et gratuits. Ici, le statut et le niveau d’alphabétisation importent peu. Le seul critère est de ne pas avoir atteint le baccalauréat. A l’origine du projet, trois femmes déterminées, n’hésitant pas à abandonner leur carrière pour apaiser la détresse des personnes exilées. Héloïse Nio, l’une des cofondatrices, aujourd’hui directrice de l’école, raconte : « Nous étions bénévoles lors de l’occupation du lycée Jean Quarré aux Lilas, durant l’hiver 2015. Beaucoup de migrants venaient me voir avec la même question : où est-ce qu’on peut apprendre le français ? ». A peine les grandes lignes du projet sont elles dessinées et une cagnotte lancée – collectant 66.000 € en 35 jours – que Thot voit le jour.
« L’école repose sur deux principes, énonce la directrice. La stabilité : mêmes élèves, mêmes profs, mêmes salles, 3h par jour pendant 16 semaines. Et une approche globale ». En plus des cours de français, dispensés par des professeurs de FLE certifiés et expérimentés, les 112 étudiants de l’école ont accès à une psychothérapeute, des ateliers artistiques, des permanences juridiques et sociales et des ateliers d’insertion professionnelle. « En tant que professeur, on ressent souvent de l’impuissance face à des élèves en grande précarité, aux parcours traumatiques. Ici, on est épaulé par un ensemble de professionnels », salue Karine Richarme. Autant dire que la formule est appréciée par les réfugiés et demandeurs d’asile, qui se pressent au portail pour pouvoir en bénéficier. « Nous avons reçu 925 candidatures pour seulement 60 nouvelles places à la rentrée d’avril 2019 », illustre Félix Guyon, délégué général de Thot. La sélection se fait sur l’absence de diplôme, la disponibilité quotidienne et la motivation ».
Majeurs isolés
Dans les couloirs d’un ancien immeuble de bureau, reconverti en lieu de création artistique et culturelle, se côtoient tous les jours des Afghans, Soudanais, Erythréens, Ethiopiens, Somaliens ou encore Tibétains, ayant connu la douleur de l’exil, le traumatisme de la route et les difficultés de l’arrivée. Les majeurs isolés, entre 25 et 35 ans, représentent plus de 80 % des effectifs. Fessad, qui a fui l’Afghanistan, vient d’obtenir une protection subsidiaire d’un an de la part de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA). A quelques jours de son examen, il est confiant : « Maintenant je me débrouille en français alors que je n’étais allé qu’à l’école coranique. J’espère pouvoir bientôt travailler ». Hossein, son concitoyen et camarade d’école, abonde : « Je parle mieux, mais pas encore assez pour trouver du travail. C’est difficile d’être étranger ici, tu ne parles pas la langue, ne connais pas la culture ». Pour Karine Richarme, la langue est seulement l’un acquis des que les élèves emportent dans leurs bagages, après deux sessions de formation.
Ils ont pris confiance en eux dans un univers qui leur est devenu familier. Cela les rend plus fort pour la suite.
Essaimer demain
Donner à ses élèves des outils d’intégration dans notre société, adaptés aux besoins et talents de chacun : tel est l’engagement de Thot. Et l’école de penser à un changement d’échelle, pour satisfaire une demande intarissable dans une ville en mal d’accueil des exilés. « Nous allons mettre en place un prototype d’école Thot à Lille, en partenariat avec l’université, illustre Héloise Nio. Nous souhaitons aussi développer les formations payantes auprès d’autres publics pour pouvoir accueillir davantage d’exilés et ouvrir un centre d’examens ».
Il est 13h. Mohamad referme son cahier et rejoint l’atelier de poterie, encore un peu plus prêt que la veille à se frayer un chemin dans la société française.
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