A quelques jours des débats parlementaires sur l’immigration, le président Macron pointe dans un discours le « détournement » du droit d’asile, « de manière parfois industrielle ». Nous avons confronté ses propos au quotidien des officiers de protection de l’Ofpra, en charge de l’instruction des demandes d’asile.
Pendant près de 3h, Elise* échange aujourd’hui avec Hossein sur les raisons qui l’ont conduit à quitter l’Afghanistan et ses craintes d’y retourner. Objectif de l’entretien : établir le bien fondé des menaces qui pèsent sur le demandeur d’asile, prérequis à l’attribution du statut de réfugié. « Je peux convoquer à nouveau la personne si nécessaire. Tant que j’ai des doutes et des questions, je poursuis l’entretien ou mes recherches », explique l’une des quelques 800 collaborateurs de Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Pour obtenir des informations précises sur un parti politique, la situation sécuritaire ou les pratiques coutumières d’une région, Elise pourra se faire aider de la Division de l’information, de la documentation et des recherches. Et recommencer ainsi jusqu’à traiter, en moyenne, 30 dossiers par mois.
En 2018, l’établissement public administratif sous tutelle du ministère de l’Intérieur a enregistré 122 743 demandes d’asile sur le territoire français. Un nouveau seuil historique, en hausse de près de 22% par rapport à 2017. Parmi ces demandeurs d’asile, venant pour près de la moitié de cinq pays (l’Afghanistan, l’Albanie, la Géorgie, la Guinée, la Côte d’Ivoire), plus de 46 700 personnes (mineurs inclus) auront été placées sous la protection de l’Ofpra, aux titres du statut de réfugié et de la protection subsidiaire. « Nous n’avons aucun quota à respecter dans l’attribution du statut, précise Stéphanie, ancienne officier de protection instructeur à l’Office. Il arrivait que je n’accorde aucun statut pendant un mois puis 20 le mois suivant ». Très différent d’un officier de protection à l’autre, la proportion de délivrance d’un statut sur les demandes reçues « dépend avant tout de la nationalité et du profil des demandes d’asile, expose Loïc, actuellement en poste à l’Ofpra. Des civils afghans et syriens peuvent plus prétendre à une protection internationale, du fait même de leur provenance, que des Guinéens ou des Sénégalais, dont le pays n’est pas reconnu comme en situation de conflit armé ».
Raccourcissement des délais
Déploiement de bureaux hors les murs de Fontenay-sous-Bois (en province, dans les ports européens de débarquement des exilés, voire même au Niger et au Tchad), attribution automatique des dossiers aux officiers de protection… Pour faire face à la hausse du nombre de demandeurs d’asile et pouvoir leur fournir une réponse dans des délais décents, l’Ofpra a procédé, au cours des dernières années, à « des recrutements assez massifs et des réorganisations en interne » poursuit Loïc.
Le délai de traitement d’une demande d’asile s’établissait ainsi à 112 jours l’an dernier, contre 142 en 2017. Les dernières réformes de l’asile, et notamment la loi asile et immigration du 10 septembre 2018, ont eu un impact important, « surtout pour les demandeurs d’asile », résume Loïc. Et Elise d’expliquer : « Les personnes arrivent en France, épuisées de leur voyage. Souvent, elles n’ont pas eu le temps de voir un psychologue, vivent encore dans la rue, n’ont pas pu rassembler les preuves qui leur seront exigées dans l’instruction de la demande. Raccourcir les délais les met dans une incapacité encore plus grande de raconter correctement leur histoire. Si bien qu’il m’est arrivé de recevoir des personnes qui n’avaient même pas compris pourquoi elles étaient là ».
« Dealers » d’histoires
Conscients du poids de la crédibilité de leur récit dans la détermination de leur statut, les demandeurs d’asile font de plus en plus fréquemment appel aux services de « dealers » d’histoires : des personnes – exilées elles-mêmes – vendant à prix d’or des récits de persécution et d’exil, avec la promesse qu’ils auraient déjà « fonctionné ». « C’est un gros problème car des demandeurs d’asile pensent avoir plus de chance en achetant un récit déjà rédigé qui ne leur vaudra pas une protection internationale pour autant », déplore Loïc. « Quand j’avais déjà vu passer la même histoire mot pour mot, j’exposais clairement à la personne : « ok, vous vous êtes fait avoir, maintenant, racontez- moi la vraie histoire », relate Stéphanie.
« Parfois, les personnes finissaient par confesser ne pas être persécutées dans leur pays, mais avoir été conseillées de demander l’asile pour pouvoir recevoir une allocation, le temps de trouver un travail en France. Quand il s’agit d’une femme seule avec trois enfants, on ne peut pas lui jeter la pierre de vouloir s’assurer une place en centre d’hébergement ».
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Pour ce commerce des récits, et parce qu’elle donne accès à certains droits (hébergement, allocation journalière mais aussi le fait de ne pas être expulsable pendant l’instruction), la procédure d’asile serait, selon Emmanuel Macron, « détournée de sa finalité par des réseaux, des gens qui manipulent… et le théâtre de distorsions. » Dans son discours du 16 septembre devant les ministres et parlementaires de la majorité, le président français interrogeait : « Quand vous avez, aujourd’hui, des concitoyens venant de pays d’Afrique de l’Ouest avec lesquels nous avons des visas par dizaines de milliers – quand ça n’est pas plus – qui sont donnés chaque année, qui demandent l’asile de manière parfois industrielle, est-ce que cette situation est soutenable et souhaitable ? Est-ce qu’elle n’est pas un détournement ?»
« Les personnes ne demanderaient pas l’asile si elles pouvaient obtenir des titres de séjour »
La réponse est dans une zone grise. « C’est peu probable que la possibilité de déposer une demande d’asile en France pousse les personnes à migrer, défend Loïc. La protection offerte par la procédure existe depuis la création de l’Ofpra (en 1952, ndlr), or la hausse des demandes est bien plus récente. Ceux qui demandent l’asile par « opportunisme » ne sont pas plus nombreux qu’avant. Le nombre de migrants a cru, ce qui implique nécessairement plus de demandes d’asile ».
Pour Stéphanie, l’asile serait devenu le dernier ressort de migrants acculés par des conditions d’accès au territoire français de plus en plus restrictives.
« Toutes ces personnes qui en réalité sont là pour des raisons de santé, de travail, de regroupement familial, elles ne demanderaient pas l’asile si on les autorisait à obtenir des titres de séjour par d’autres voies.
« Il y a beaucoup d’Africains qui ne projettent même pas de s’installer en France dans la durée. Certains veulent pouvoir faire du commerce, gagner de l’argent et rentrer dans leur pays. Or, les démarches de visa en ce sens sont devenues tellement chères et compliquées, sans même la certitude qu’elles aboutiront un jour… »
Les pistes de réforme
Devrait-on dès lors, réformer l’asile, comme y invite le président français ? Pour nos interlocuteurs, défenseurs fidèles des Conventions de Genève jugées « très intéressantes » « complètes », et qui « ont le mérite d’être les mêmes partout dans le monde », l’harmonisation des procédures européennes et l’intégration de la question des « réfugiés climatiques » sont des problématiques prioritaires. « Quand une personne vous dit qu’elle n’a plus de quoi se nourrir à cause des sécheresses ou de la disparition de toute terre arable dans sa région d’origine, on la classe comme migrante économique mais typiquement c’est une réfugiée climatique, illustre Elise. « Bien souvent, une personne qui a des craintes en cas de retour dans son pays est aussi venue chercher un avenir économique meilleur en Europe, et inversement. La frontière entre les migrants économiques et les réfugiés est poreuse, abonde Loïc.
Parce qu’elles ont intégré de nouveaux groupes sociaux, « sur les thématiques LGBTI, les mariages forcés, l’excision, l’albinisme », détaille Loïc, les bases du droit international pour la protection des victimes de conflits armés, telles que les avait pensées Henry Dunant il y a plus de 150 ans, seraient donc le faux bouc émissaire. « La vraie question est la place que l’on accorde aux étrangers et à leur intégration en France, soutient Stéphanie. Comment demander à des gens qui vivent à la rue, et qui n’ont aucun statut à cause de règlements absurdes, de s’intégrer ? Au Canada par exemple, des titres de séjour pour motifs « humanitaires » sont accessibles aux déboutés du droit d’asile, car le pays considère que la personne va y rester et qu’elle y est intégrée. Ne pourrait-on pas y penser pour des personnes qui vivent, travaillent, ont une famille et des amis en France depuis longtemps, au lieu de chercher à les expulser coûte que coûte ? »
* Tous les prénoms ont été modifiés
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